• Elle se gara à bonne distance. Il fallait marcher un peu, prendre son élan. 

    Sous le lampadaire les mannes s’agitaient en tous sens.

    Juin. L’air pesait lourd. Les orages seraient  violents.

     

    Les fenêtres étaient embuées. Elle voyait ça depuis sa voiture.

    C’était l’heure de la soupe qui cuit sur le gaz. Elle savait l’odeur du fenouil qui la prendrait à la gorge sur le seuil.

    Il fallait pourtant entrer. Aussitôt elle pensa : j’ai trop chaud.

    La soupape de la cocotte sifflait dans un bruit exaspérant. Il y avait un raclement, aussi.

     

    Ils ne l’ont pas entendu.

    Le père, dans son fauteuil, il maugrée :

    -Quoi encore ?

    -Mais c’est pas vrai !  -C’est la voix de la mère, avec l’accent qui ferme tous les é en appuyant tous les p.-

    - Ah bravo, ça veut aiguiser le matériel et ça ne sait pas s'y prendre. Donne–moi ça.

    - Quoi, plains-toi, je te laisse lire ton journal, je te prépare ta soupe….

    - Tu sais pas y faire, donne-donc !

    - Pas ma faute si j’ai des engelures, le linge que je te lave, il me cuit les mains, ça me creuse comme en hiver.

    Elle imaginait sa mère, avec ses doigts rouges et le dé encore au pouce, sa couturière de mère.

    Bruit métallique sur la table. Le fusil, elle devine.

    - Tiens, mais pas trop, hein, parce que les légumes c’est pas toi qui les coupe, ça, tu sais pas y faire, et si tu m’ fais trop coupant, j’ vais m’écharper les doigts !

    -T’es jamais contente !

    - Ben tiens, vaut mieux prévenir avec  vous autres, tu serais capable de m’user ma lame. Et j’y tiens, à ce couteau. Pis tu voudras pas en racheter, si tu m’ le casses, j’ te connais.

    - Et puis quoi encore ? T’en as bien assez des affaires pour ta cuisine, pour c’ que tu cuisines …

    -Comment ça ? T’es bien content d’ la trouver ton assiette, quand tu rentres de chez l’Guy, tiens …

    - Oh tais-toi, tu m’ fais suer, et je suis poli.

    - Ben heureusement, manquerait plus que ça…

     

    Elle hésitait toujours dans le couloir, plantée entre la porte d’entrée et celle de la cuisine. Cela faisait trop longtemps qu’elle était partie en voyage. Elle avait oublié. Ça l’insupportait.

    Elle recula d’un pas.

    De deux.

    Referma la porte.

     

    Dehors sous le lampadaire les nuées étaient tombées par terre.

    Un insecte virevoltait encore, accroché à la lumière jaune. Ephémère papillon bravant la mort.

    Et dans son ballet  éperdu elle se souvint du corps du garçon.

    Il avait les cheveux tissés, et pour la danse au son des sogos il l’avait attiré contre elle. Au lever du soleil, elle avait dû s’envoler.

    Elle regarda encore les fenêtres et essuya la buée qui coulait de ses yeux. La clef déjà entre le pouce et l’index.

    « Passe me voir à l’occasion… »,  il avait dit.

     

    décembre 2014

     

     


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    Quand de l’autre côté de la colline

    Tu verras

    La prairie se métisser de bruyère

    Et les lacs figer tous les reflets du ciel

     

     

    Quand sous le toit tissé de chanvre

    Tu pourras

    Installer dans la douceur de l’air

    Une méditation essentielle

     

     

    Alors s’ouvrira ici, à l’abri,

    Une parenthèse tiède comme une bergerie.

     

    mars 2014


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    C’était bien le moment et l’endroit, pour tomber en panne d’essence, tient. C’était d’une telle banalité, d’une telle idiotie qu’il imaginait déjà la tête des clients au café des Couderts. Marion se moquerait de lui en lui servant son ballon, et les copains se taperaient la panse en se faisant payer la tournée. Il pensait à ça en poussant sa voiture sur le bas-côté.

    Ils le voyaient arriver, les autres, avec ses cheveux en bataille, son ventre replet et ses mains dans les poches. Bien qu’attaché à sa montagne aux pentes douces on pouvait lire dans ses yeux des faux airs de marin tempétueux.

    Y’en avait même un pour dire qu’il dérivait.

    Il préférait en sourire, mais ce n’était pas complètement faux. En fait de dériver, il se rivait plutôt. Il boulonnait tous ses « lui-mêmes » au présent comme on s’accroche à  une péninsule  que les flots menacent de disloquer. Ça faisait qu’il lui en fallait peu pour foutre le camp à l’intérieur.

    D’ailleurs hier encore ça lui avait valu un incendie domestique, ses rêveries.Pourtant il l’aimait sa douce et elle l’aimait aussi. Mais quand il lui prenait l’oubli des dates et qu’il mélangeait les rendez-vous, la déception la défigurait, ses yeux brûlaient du feu de l’enfer et elle prenait des airs de gorgone fière qui l’effrayaient.  Il fallait attendre quelques heures avant que leur lien retrouve  sa reposante béatitude.

    Faire figure  de rêveur, passe encore, mais l’être vraiment, c’était parfois épineux.

    Bon, cette fois, c’était l’essence. Il avait oublié de faire le plein. Pas de risque d’incendie, il était trop loin, et elle ne l’attendait pas avant plusieurs jours. Il n’y avait que lui pour s’en vouloir et il ne s’en voulait même pas.

    Départementale 24, Col de Meyrand. Il avait déplié la carte sur ses genoux. Le prochain village était à 16 km en suivant la route.

    Faudra marcher. Il attendrait juste un peu avant l’aube. Une escapade nocturne ne lui faisait pas peur et il s’enivrait par avance de tâter la nuit par ici. Elle s’était couchée sur la montagne alors qu’il conduisait, et il la jalousait de si bien la recouvrir.

    Il avait remonté le col de sa veste un peu trop légère, il ne lui faudrait pas plus de quelques secondes pour s’endormir. Derrière ses paupières closes il marchait déjà.  Depuis le temps qu’il attendait ça.

    Marcher seul sur les chemins perdus. Se perdre à rendre le temps immense, aller à son arythmie rêveuse sans gêner et sans se faire moquer, il l’avait déjà fait et il en crevait d’envie ; pourquoi avait-il délaissé  ce qui lui était essentiel ? La transcendance du quotidien sans doute. Le prosaïquement nécessaire.

    Tantôt il marcherait jusqu’au village prochain, avec tous ses « lui-mêmes » rassemblés sur les routes caravanières, sinueuses comme les tracés d'un  batik indien.

     

    octobre 2014

     

     

     


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  • Mon étoile s'est brisée dans la désespérance du soir

     Ne la cherchez plus  elle cache ses tares

    Sentinelle des cœurs elle guette le refroidissement 

    Des sentiments

      

    L'un pense panser le manque quand l'autre veut communiquer

    Et les mots en travers de la gorge, coincés

    Déçus de tant d'espoir

    Tombent comme des branches d'étoile coupées

      

    Ainsi va l'étoile amputée

    D'une partie d'elle-même

    Privée de son reflet

      

    Ainsi va l'étoile déchue

    Le cœur dans le doute 

    L'enfer à la place des nues

      

    A trop se mirer

    Dans l'illusion de s'aimer

    Elle n'a pas pu entrevoir

    La possibilité de se décevoir...

      

    Ce soir Cassiopée désolée

    Peigne de ses doigts tremblants

    Ses cheveux poudrés

      

    La sentence est tombée

    Elle restera seule ce soir

    Plus d'autre mot après le feu du rasoir

      

    Comment fermer les yeux dans le noir ?

    janvier 2010

     


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    « Bonjour mon amour,

    Il fait encore nuit, veux –tu que je t’offre le point du jour ?

    Dans l’ombre de nos rêves, les corps engourdis, les odeurs  aigres douces  de deux chaleurs intactes, ça te dit ?

    Veux-tu t’abandonner ? …Le sommeil a si bien tissé nos désirs, nous voilà enrubannés l’un à l’autre, laisse-moi tirer sur le fil  de la nuit pour retenir bien serrées  nos mailles épidermiques…

     

    Nous prendrons le chemin qui mène à l’orée du jour, et dans le souffle de ton plaisir, nous verrons ensemble le ciel détricoter les ténèbres et déballer le soleil. »

    octobre 2013


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