• Fête

     Elle avait appliqué avec soin ombre et mascara en trompe l’œil pour suspendre une caresse à son regard.

    Boucle était arrivée tard, presque au dernier moment. Elle n’avait pas eu envie de se mêler aux plaisanteries et aux préparatifs fébriles. 

    Comme tous elle avait crié « Surprise ! » pour l’anniversaire de Kim, organisé par son homme. Juste avant l’entrée en scène de la reine de la soirée, Boucle avait attrapé deux ballons rose perle qui traînaient à ses pieds pour se les lancer devant la figure à son arrivée.  Elle avait jugé que ça lui donnerait une contenance, à défaut d’un contenu. 

    Elle avait regardé cette femme si menue s’arrêter nette devant les invités. 

    Kim avait dévisagé les invités un à un, bouche ouverte. Puis elle avait dit « Je vais pleurer. » Et elle avait pleuré, des sanglots incisifs : une petite gamme mineure sur un xylophone d’écolier. 

    Les ballons voletèrent un moment, se posèrent aux pieds du compagnon de Kim. Derrière son appareil photo, il se cachait. 

    Boucle observait l’eau au coin de ses yeux. Elle pensait à cet article qu’elle avait parcouru un jour : le sel des larmes ne cristalliserait pas de la même façon selon l’émotion ressentie. Elle imaginait un kaléidoscope de fleurs de sureaux au coin des pattes d’oies qui surplombaient le sourire d’Olivier. 

    Les siennes, remisées juste sous ses paupières, à coup sûr ressemblaient à un enchevêtrement de falaises déchiquetées. 

    Kim embrassa les invités tour à tour, les serra dans ses bras. Les conversations reprenaient, on rallumait les lumières et la musique. 

    La soirée pouvait commencer. Boucle pensait « Je dois maintenant aller vers les autres, discuter. » Un écran diffusait de vieux clips des années 80, le buffet était plein ; elle pourrait au moins s’occuper les mains, sortir fumer une cigarette. 

    Heureusement, Boucle connaissait quelques personnes, elle se trouva des points communs avec quelques autres. Celle-ci enseignait, une avait comme elle espéré avoir des garçons et pas de fille, une autre souhaitait découvrir la danse traditionnelle. Ça ne se déroulait pas si mal. 

    On retirait les pulls sur la piste de danse. Elle se balança un peu . Elle voulait se fondre dans la chaleur humaine, rompre la digue qui cerclait sa poitrine et la privait de ses émotions. 

    Mais rien ne se brisa. 

    Elle avait cousu son cœur. 

    Pour ne pas le laisser faire. Pour ne pas qu’il conclue à l’iniquité de la situation.  Pour que cesse un instant le dialogue de sourd qu’il entretenait avec l’amour depuis toujours. 

    C’était un aller simple pour l’hiver. Un train en marche forcée, dans lequel elle était montée le jour où elle avait choisi la solitude plutôt qu’une relation unilatérale. 

    Elle se disait que ce froid durerait environ toute sa vie. C’était le principe premier de son absence au monde. 

    février 2020 


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