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Nous avions terminé de les émonder. Elles luisaient dans la lumière jaune de la pièce.
J’avais regardé le creux des mains épaisses écraser les fruits durs. Je croquai un fruit nu et ça recommençait :
L’odeur de la peau ruisselait entre mes lèvres. C’était de plus en plus fréquent, ces crises uncinées qui accrochaient son corps au goût des aliments.
« Le passé n’existe pas !» il a dit en les ramassant.
C’en était jeté comme les amandes dans le bol.
Fixer le passé, pourquoi ? Il voulait ficher l’instant entre nous, l’ancrer à jamais dans la seule Sébastopol que nous construirions jamais, et y débarquer le bonheur à grande et petite dose, y ouvrir des sacs et des sacs d’amandes, émonder les fruits comme il défait mes regrets et nos lits…
Hopper nous prêtait sa lumière : l’un en face de l’autre nous étions le monde même. Une orgueilleuse idée que celle-ci, tient ! Je n’étais pas dupe de ma banalité. Mais je m’accordais cet orgueil-là.
Il a pris le bol et arrimé sa langue à la mienne. C’était l’heure aigre-douce des naufragés bienheureux : ce soir nous dormirions sous le même toit.
janvier 2014
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Déjouer les pièges je ne suis pas tombée, avaler ma langue je n’ai pas parlé,vider mon désir je n'ai pas touché, isoler l’ivresse je n'ai pas respiré, décaper ma hardiesse je n’ai rien volé
Juste…Juste entrelacée de douleur, sciée
Si tu es toi, c’est à cause de l’autre, toi,
Ces morceaux de moi
Là, là, dissimulés évincés ramassés suppliciés
Striés de douleur, vifs sur leur bûcher
Révélés, enfin,
Mais vains après toi, vains…
Juste …Juste emmêlée d’équivoques, annulée
Si je suis moi, c’est à cause de l’autre toi
Ces morceaux de toi
En moi écrasés renversés mélangés embrouillés
Hachurés de fard, déguisés
Démasqués, enfin,
Mais veufs sans toi, veufs…
2012
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Et même si le déluge poisse sur les planches de mes prisons trop lisses, je sais la lucarne qui bave un pâle rayon laiteux : elle me promet la lune et tous ses sortilèges.
Alors je me plante là au pied du mur, le cou tordu, je suis un chat à l’affût de l’oiseau rare, ou un clou tordu, qui voit le ciel à la faveur de sa tare…
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Il suffit de sa pâleur pour redessiner la ville.
Les cheminées sont des échelles tendues vers le ciel, les arbres bruissant des nuées de lucioles, les toits des lacs clairs dans lesquels elle se mire, figée à jamais dans sa beauté glaciale.Je regarde les petits carrés dorés que révèlent dans la nuit les fenêtres de mes congénères. Je fais le compte de cet ennui couvé sous les lumières artificielles, la somme des solitudes trompées dans un monde virtuel.
Je déduis les regrets, soustrais les remords, annule les désillusions. J'octroie des désirs, des amours, de la gratitude.Je voudrais que les carrés d'ambre incendient le ciel : rien à faire. La lune règne et repeint la vie à l'or blanc. Ce soir il me faudra me contenter de la douceur de son éclat, et aimer ne produire qu'un mirage ambré...
août 2012
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Cum patior.
Il y a tant d’avec qui ne sont pas, et je cultive les pas assez, tout ce qui n’est pas mais qui aurait pu être, tant de renoncement, tant de superficie habillée de vide, tant d’ennui camouflé.
Le non-être. Si tu grattes tu le trouves.
Lourde comme une valise de mazout, les ratés agglutinés tout autour et l’odeur qui va avec, collante de poisse, j’ai le visage d’un mineur mais je minaude devant mon miroir, grise de l’immensité du rien qui attend. Sans limites je me cogne au néant et la résonance me saoule. Tout cela est une vaste plaisanterie. Bientôt je rirai beaucoup.
Ce qui fait qu’on naît avec moi mais qu’on ne l’est pas vraiment, à quoi je sers, mais au fait, qu’est-ce que j’ me sers ? Une dose de battante, deux de solitaire, trois d’indépendante ? De quoi se prémunir de toute compassion.
Bien fait.
2013
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