• des trains des routes des autoroutes

    des ponts des quais des voies

    des métros des chemins des randos

    pour lutter contre toi

    pour te faire passer.

     

    avril 2009


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  • Perles

     

     

     

     

     

     

    « Hasta luego ! » crachaient les haut-parleurs sur la braderie estivale.

    Tongs aux pieds, casquettes, peaux tannées, cris d’enfants et odeurs de marché: plein mois d’août, le matin était déjà lourd de soleil.

    Les gens flemmardaient sur les terrasses, ça sentait le café et j’avais envie d’une cigarette.

    Je la regardais du coin de l’œil. Depuis peu, je ne pouvais faire que ça, la mater en douce, ma fille. Mes yeux devaient être équipés de rayons insultants, elle ne supportait plus mon regard.

    Casque sur les oreilles, elle marchait chaloupée, hautaine et indifférente.

    Je l’avais traînée là au milieu de la foule, depuis le mobil-home que j’occupais pour rien en échange du ménage des sanitaires. Le patron du camping était un vieil ami, habitué à mes errances de louve esseulée. 

    Il m’avait découvert un matin, assise au bout du chemin qui mène à la plage à travers les dunes, le jean déchiré, les yeux dans le vide et les cheveux emmêlés. J’avais posé le casque à mes pieds.

    C’était la saison morte, le camping était fermé mais il venait s’assurer que les canalisations ne gelaient pas, « pour la forme », il disait, car en fait ça ne  voulait jamais faire froid ici.

    Pendant qu’il me racontait ça, il a pris mon bras avec précaution, évitant les contusions qui bleuissaient la peau, et m’a amené devant la porte du mobil-home. Après avoir déposé un radiateur électrique à mes pieds, il m’a dit « Salut, à demain » et il est parti. Il est revenu le lendemain et moi je suis restée, il est resté dans mon lit quelques nuits et je suis repartie.

    Depuis je reviens l’été, l’hiver je ne pourrais pas. J’ai besoin que rien ne se ressemble, et j’aime les touristes pour cela. Je reviens, pour lui et pour elle.

    Ses lunettes lui mangeaient le visage. Les cheveux relevés en un chignon savamment défait, avec son minishort élimé et son t-shirt en cotonnade de dentelle, elle avait l’air délicieusement maussade.

    Elle s’était arrêtée devant l’étal des perles et plongeait ses mains dans les boîtes, comme quand elle était enfant, on écossait des petits pois avec sa grand-mère…ça roulait sous les mains elle riait de plaisir.

    Elle entretenait avec le camelot une conversation animée, tendant la main à droite, à gauche, cherchant une perle là, un fil ailleurs.

    J’étais plantée dans l’allée, écrasée de chaleur. La foule me contournait comme les algues vertes s’étalent autour d’un rocher dans la mer.

    C’est là que ça se produisit. Ce clapotis sur le goudron.  Elle s’empressa de courir après les perles en riant. La fuite des perles dans la fougue du rire de ma fille, le roulement des boulons sur la route après ce rire, son rire… Et moi qui ce soir-là me cramponnait au cuir de son blouson.

    Sous mes pieds les abysses. Minée, rongée à toute vitesse le cœur fou vers le fond.

    La moto. Elle avait fait une embardée. Le cuir m’avait échappé. J’étais quelque part au milieu du rien et j’entendais tout son rire et le roulement des boulons, ça résonnait dans ma tête protégée par le casque. Son casque, il me l’avait prêté.

    Puis il y avait eu les lumières bleues, les hommes autour de moi, et après, longtemps après j’avais cherché la mer je voulais m’y noyer. Auguste m’avait alors trouvée.

    Elle n’était pas à Auguste mais bien à lui, elle appartenait à ce rire.

    Tondue démasquée dénudée.

    Une tonte à ras la chair et de ce qu’il me restait de carapace. Je n’avais jamais voulu me l’avouer.

    C’est plus facile d’élever l’enfant d’un vivant. Ça ne vous rappelle pas votre deuil permanent.  Ça ne vous exhume pas les souvenirs en vous hachant menu ce qu’il vous reste de cœur.

    Elle venait de ce rire dans le vent sur la moto.

    « Hasta luego ! », criait l’autre dans les haut-parleurs sur la braderie d’été.

     

    C’est ça, hasta luego mon amour, et à jamais.

     

    juin 2014


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  • "Je veux me sentir libre" me disait Roméo

    Et Juliette sur les murs exhibait son ego.

    Ce n’est rien dans ton cœur ce n’est pas une aiguille,

    Mais choisir le dimanche les vêtements des filles...

     

    "J'avoue te dire je t'aime, à part moi, en dedans"

    Et les mots entre nous sont inquiets de leur sens

    Ce n’est rien qu’une pichenette dans ton cœur-bille

    Mais préparer dimanche le repas des filles...

     

    "Je veux partir en Inde mais seulement quelques mois"

    Et l'odeur de curry se mêle à tous tes plats

    Ce n’est rien dans ton cœur une boule dans un jeu de quilles

    Mais nouer le dimanche les longs cheveux des filles...

     

    "Je ne suis pas en couple" mais je suis avec toi

    "Je suis célibataire" Et quand tu pars là-bas ?

    Ce n’est rien dans ton cœur ce n’est pas une torpille,

    Mais dans mes bras dimanche les au-revoir des filles ...

     

    février 2014

     


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  • Récolte

     

     

     

     

     

     

    Je salue l'homme en toi le masculin le viril

    L'odeur du matin dans la grotte de tes bras

    L'odeur de ton sexe dans le creux de nos draps

    Je salue l'incertain l'instable le pas sûr

    Le passé insondable

    L'empire insoumis de ton monde

    Le futur improbable

    J'étreins le présent qui glisse entre nous

    Graines de peut-être sur mes jours convenus

    Grains de bonheur sur l'amour revenu.

     

    Mai 2014.


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  • I

    Le couteau s’enfonce dans l’épaisseur du pain. Une large tranche entaillée dans la miche. Les mouches s’en reviennent glaner le suc de la mie exsangue.

    La bouche mord, en habituée, et le beurre se répand sur la pulpe des lèvres. Je regarde ça, les lèvres qui mangent le pain, le beurre, le mouvement des lèvres fermées, le beurre qui luit sur la bouche.

    Le couteau reviendra quand le pain sera mangé, et le ballet des mouches, le beurre répandu sur la tranche, les lèvres qui mâchent, encore.

    Le regard toujours perdu, les yeux ailleurs que dans la bouche, les yeux dissociés du manger et du boire.

    II

    S’il ne devait en rester qu’un ce serait celui-là.

    Il serait là, sur la maison basse, le sol campé sous ses pieds, car ce serait le sol qui le tiendrait là, bien droit, bien debout, parce que la tête cent fois par jour elle voudrait s’envoler.

    Et s’il n’en restait qu’un ce serait celui-là, vous dis-je.

    Je porterais  une robe blanche en dentelle et aurais l’air d’avoir dansé toute la nuit, légère et décoiffée, folâtre et nu-pieds.

    C’est là que ça se produirait.

    Le regard de cuir tanné d’abord, fort et sûr, qui attraperait le mien, ensuite la bouche, un ange triste l’aurait dessinée à rebours, et je glisserais sur les commissures plongeantes.

    Ce serait déjà trop tard.

    Parce que ses deux bras auraient l’air de prendre un envol solennel, et à mi-chemin entre la terre et le ciel, je n’aurais plus qu’à me laisser consumer de chaleur dans la houppelande de ses bras resserrés.

    III

    Vous imagineriez aisément les mots qui dévalent de la bouche, les pierres qu’on roule pour ouvrir des cavernes, les éboulements de voix sonore…la vérité à vos pieds comme collée à vos bottes.

    Mais si vous tendiez l’oreille…la voix s’ajuste au regard du souffle presque éteint, zéphyr tiède offrant paroles au silence.  

    IV 

    Alors vous voudriez connaître, parce que ce n’est pas assez, le goût des tanins de la peau, et, le nez dans les broussailles, l’odeur de l'homme endormi du sommeil des Titans.

     

    août 2013


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