• I

    Le couteau s’enfonce dans l’épaisseur du pain. Une large tranche entaillée dans la miche. Les mouches s’en reviennent glaner le suc de la mie exsangue.

    La bouche mord, en habituée, et le beurre se répand sur la pulpe des lèvres. Je regarde ça, les lèvres qui mangent le pain, le beurre, le mouvement des lèvres fermées, le beurre qui luit sur la bouche.

    Le couteau reviendra quand le pain sera mangé, et le ballet des mouches, le beurre répandu sur la tranche, les lèvres qui mâchent, encore.

    Le regard toujours perdu, les yeux ailleurs que dans la bouche, les yeux dissociés du manger et du boire.

    II

    S’il ne devait en rester qu’un ce serait celui-là.

    Il serait là, sur la maison basse, le sol campé sous ses pieds, car ce serait le sol qui le tiendrait là, bien droit, bien debout, parce que la tête cent fois par jour elle voudrait s’envoler.

    Et s’il n’en restait qu’un ce serait celui-là, vous dis-je.

    Je porterais  une robe blanche en dentelle et aurais l’air d’avoir dansé toute la nuit, légère et décoiffée, folâtre et nu-pieds.

    C’est là que ça se produirait.

    Le regard de cuir tanné d’abord, fort et sûr, qui attraperait le mien, ensuite la bouche, un ange triste l’aurait dessinée à rebours, et je glisserais sur les commissures plongeantes.

    Ce serait déjà trop tard.

    Parce que ses deux bras auraient l’air de prendre un envol solennel, et à mi-chemin entre la terre et le ciel, je n’aurais plus qu’à me laisser consumer de chaleur dans la houppelande de ses bras resserrés.

    III

    Vous imagineriez aisément les mots qui dévalent de la bouche, les pierres qu’on roule pour ouvrir des cavernes, les éboulements de voix sonore…la vérité à vos pieds comme collée à vos bottes.

    Mais si vous tendiez l’oreille…la voix s’ajuste au regard du souffle presque éteint, zéphyr tiède offrant paroles au silence.  

    IV 

    Alors vous voudriez connaître, parce que ce n’est pas assez, le goût des tanins de la peau, et, le nez dans les broussailles, l’odeur de l'homme endormi du sommeil des Titans.

     

    août 2013


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    Elle ne m’avait pas décroché un regard.  

    Elle ne m’avait pas décroché un regard et elle avait les cheveux sales, comme quand on s’en fout, de tout, quand il n’y a plus rien qui compte que les idées fixes et les sentiments lourds qui collent aux dents serrées dans la bouche.

    Elle avait les cheveux sales et les doigts volubiles, scorpions sur l’écran tactile. Les mots convulsés se hâtaient, virés d’un coup de pouce vers un spectre que j’aurais bien démonté d’un coup de boule.

     

    Finalement, qu’est-ce que ça  pouvait me faire au juste ?

     

    Je fixais un point au hasard. 

    Je fixais un point au hasard et je faisais semblant. Ce livre, je ne le lisais pas, cette vie je ne l’existais  pas. Et ce flot d’envies que je ne laissais jamais jaillir. Comme un volcan enfoui sous les eaux je me consumais de l’intérieur.

    Je faisais semblant et je ne sais même plus où j’allais. De toute façon je n’allais jamais vraiment nulle part. Le froid dans les oreilles malgré la capuche rabattue, j’étais assis là sur ce banc, derrière tous les autres et tous les autres à côté.

     

    Finalement, qu’est-ce que ça pouvait leur faire au juste ?

     

    Ils attendaient.

    Ils attendaient et ils pensaient à leur journée. A ces heures à tirer avant le canapé, la soupe, la télé. 

    Ils pensaient à leur journée et bruissaient comme des jouets. Sous la lumière artificielle des pantins désarticulés de leur vie, des enfants désenchantés prisonniers d’un chœur accablé.

     

    Finalement le métro nous avait fauché eux, elle et moi, le souffle dans mes oreilles je me souviens, ça faisait plus de bruit que les tempêtes de mon océan natal.

     

    Et j’étais ravagé.

     

    avril 2014


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