• Deux femmes

    Deux femmesL’eau s’échappait de la gouttière. Il pleuvait depuis des heures. Des jours. Enfin c’était une manière de parler. Ils avaient quand même pris le petit déjeuner dehors ce matin-là et ses deux ados avaient résolument décidé de rire à la place du ciel .

    Des rigoles pâteuses s’écoulaient devant la porte du jardin. La boue  était sombre et collante, elle charriait les feuilles vertes débitées par la grêle et les pétales de lilas délavés comme des ailes de papillons trempées.

    Mais rien à voir avec là-bas. Là-bas la pluie ne s’arrêtait pas pendant des jours, et n’y voyez pas une manière de parler.

    Elle s’abattait sur vous un après-midi orageux et ne vous quittait plus d’une goutte. Elle s’installait, se coulait en vous jusqu’aux os, telle une sangsue collée à votre peau pour vous dépouiller de vos forces, vous purger le moral…

    Et puis, ça s’arrêtait. Comme ça, va savoir pourquoi…L’horizon s’ouvrait à nouveau d’un seul coup, le soleil s’éparpillait dans les flaques en vous aveuglant.

    Restait le sable lourd,  mouvant, vos quelques habits collant à la peau et le campement détruit. Il fallait une fois de plus se serrer les coudes et rebâtir votre toit, si bien entendu entre temps l’esprit du clan, malmené par les caprices du climat, ne s’était pas totalement dissous dans les flots.

    Et pendant ce temps, ça tournait. Pas de clap de fin, pas de pause « intempéries »,  les techniciens et les machines emmaillotés dans des grands cirés filmaient inlassablement l’équipe en perdition, sous la lune pâle, sous le déluge froid, sous les mots durs parfois entre eux.

    Elle se savait différente. Souffrait-elle de ses muscles saillants de sportive de haut niveau, de la solitude infinie que chevillait au corps des années à poursuivre une vaine célébrité ? Sans doute, oui, peut-être, non… comment savoir, quand c’est là tout ce que vous avez toujours vécu ?

    L’homme était venu un soir chez elle pour acheter des pneus.

    Rien à voir avec la popularité, donc, juste une histoire de hasard.

    Elle avait senti la curiosité dans son regard. Elle lui avait proposé un thé, qu’ils avaient pris sur le canapé blanc, l’un à côté de l’autre.

    Il parlait de fleur des bois, d’arbres plein de fruits, ses mots racontaient une autre vie, où vibrait encore l’émotion d’un deuil récent et les palpitations de projets heureux et terriens.

    Ça lui avait fait du bien, cette absence d’intérêt pour son passé de pseudo-vedette, elle pouvait se sentir elle-même, quelques instants.

    Alors elle avait écouté cet homme, plusieurs fois,  toujours une tasse de thé à la main, sur ce canapé, elle avait bu ces mots bienveillants et chauds comme un écheveau d’écharpes autour du cou, comme des bras d’homme, ces bras qui n’étaient pas disponibles pour elle seule, tant ils étaient tellement mariés…Elle prenait peut-être sa part de mots à une autre qui  sans doute se faisait du souci pour lui quelque part, mais … comment s’en vouloir, quand c’est là tout ce que vous avez toujours vécu ?

     La dernière feuille passa devant la porte du jardin. Elle soupira en même temps que le dernier coup de vent, essuya ses yeux puis ses mains sur le tablier blanc : il était temps  d’oublier, les enfants allaient rentrer. 


  • Commentaires

    1
    Betty
    Samedi 8 Octobre 2016 à 18:50

    çà  m e   fait penser spontanément à ce film merveilleux "la route de madison"

    bonsoir thalie au plaisir de te relire

    http://betty-harmony.eklablog.com/

    Betty

    2
    Mardi 18 Octobre 2016 à 00:04

    Merci Betty pour cette jolie référence.

    Il est vrai que cet effleurement des possibles est souvent dans mes textes. maintenant que tu le dis, j'en prends conscience.

    J'ai fait un tour sur ton blog, et ce n'est pas sans douleur que j'ai pris connaissance de ton parcours. Je suis touchée de près par cette maladie, et je l'imagine souvent qui rôde autour de moi, surtout quand vient l'heure du rdv annuel de la mammographie. 

    J'ai beauxoup apprécié les haikus d'automne, j'aimerais bien apprendre à en écrire !

    Bonne continuation à toi, 

     

    Muse Thalie

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